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Association forestière de la vallée de Villé
5 mars 2023

La ruée vers l’argent

Une aventure à vivre au cœur d’une mine du XVIe siècle dans les forêts des Vosges

Si l’exploitation minière est souvent associée à celle des « gueules noires » dans les veines de charbon, la France a aussi eu ses mines d’argent. Notamment dans les Vosges, à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin) où l’on peut encore en visiter une, presque comme au XVIe siècle. Et remonter le temps.

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La frontale éclaire faiblement l’obscurité. Les bottes en caoutchouc raclent l’eau stagnante, presque tout le long du parcours. Nous sommes en file indienne, il est de toute façon quasiment impossible de se croiser la plupart du temps, tant la pierre semble nous enserrer de tous les côtés. D’ailleurs, il ne faut pas relâcher la vigilance, nous a prévenus Emmanuel Gobertière, le guide du jour, avant de pénétrer dans le souterrain. « Bon, le reporter, l’appareil photo, c’est à vos risques et périls… Pour les autres, surtout personne n’enlève son casque, sous aucun prétexte. » On comprend vite pourquoi : durant l’heure sous terre, à 8-10 °C toute l’année, le casque heurtera à de nombreuses reprises la roche…

Bienvenue à Sainte-Marie-aux-Mines, dans le Haut-Rhin. Plutôt sous la terre, dans la montagne. Pour une étonnante visite que propose régulièrement l'Asepam (Association spéléologique pour l’étude et la protection des anciennes mines) : pénétrer dans une ancienne mine d’argent, mais telle qu’elle était durant sa période d’exploitation, c’est-à-dire entre 1549 et 1570. À l’exception de quelques aménagements pour décrire les techniques (systèmes d’aérage et hydraulique, voie de roulage, treuil), elle n’a pas été modifiée depuis. Les étroites galeries offrent ainsi un plongeon vertigineux dans un  patrimoine du XVIe siècle…

La ruée vers l’argent

Avant d’y pénétrer, il faut remettre les mines dans leur contexte. On le découvre d’abord en grimpant à flanc la montagne, comme les mineurs à l’époque, à travers une forêt touffue entrecoupée de haldes, sortes de trouées dans la végétation qui sont des déblais stériles de l’exploitation minière. Ici, les hommes ont compris depuis longtemps que la montagne recelait quelques richesses. Au IXe siècle, des moines avaient déjà repéré des affleurements d’argent à la surface, et avaient commencé à descendre verticalement dans des puits pour l’extraire, avant d’être limités par la profondeur, le manque d’oxygène et l’accumulation des eaux d’infiltration.

Au XVIe siècle, la découverte d’un nouveau filon riche en argent fait grand bruit. Ça tombe bien, de nouvelles techniques venues d’Europe centrale ont fait leurs preuves. Là où avant on creusait de façon verticale, on creuse désormais horizontalement en recherchant dans la poche minéralisée les filons d’argent. Le tout en aménageant un système de pompes à eau et d’évacuation de l’air, tout en créant des voies de roulage pour faire circuler les chiens à mines, ces chariots remplis de minerai.

Durant ce siècle, l’exploitation bat son plein : on dénombre ainsi 1 200 mines différentes dans le Val d’Argent, soit 350 kilomètres de galeries dans le secteur ! « C’est un développement minier tout à fait inédit », assure Emmanuel Gobertière. Il ne faut pas non plus s’enflammer. Sur les 1 100 mines ouvertes en réalité, la majorité était de la recherche, et parmi celles qui étaient réellement exploitées, toutes n’étaient pas rentables. Mais pour celles qui l’étaient, le jeu en valait bien la chandelle !

3 000 mineurs de Bohème, Saxe, Tyrol…

Ce développement minier nécessite de la main-d’œuvre. Et qualifiée. Environ 3 000 mineurs affluent dans le secteur de Sainte-Marie-aux-Mines. C’est la ruée vers l’argent. Les exploitants miniers, les seigneurs de Ribeaupierre, vassaux de la maison d’Autriche, et les ducs de Lorraine vont les chercher dans les régions où les nouvelles techniques d’extraction ont été développées : Bohème, Tyrol, Saxe.

Si le métier reste difficile – il faut creuser la galerie à l’aide d’une pointerolle, soit le burin, et d’un marteau dans les conditions de confort que l’on peut imaginer (un mètre de creusement nécessite environ trois à quatre semaines) – ces mineurs sont considérés et payés en conséquence. À l’extérieur, ils ont le droit de pêche, celui de chasse également, même s’il était certainement limité au petit gibier. Le danger dans la mine est relativement restreint par rapport à l’image d’Épinal des « gueules noires », soumises au grisou du charbon : « Peu d’accidents ont défrayé la chronique, sinon celui arrivé à la mine Saint-Barthélémy, coûtant la vie à trois mineurs, précise l’Asepam. Les autres accidents survenus étaient plutôt individuels : chutes, éboulements… »

Ce développement minier marque le paysage et les environ. La mine et son industrie nécessitant beaucoup de bois (pour consolider les puits et galeries, fabriquer des charbons de bois pour les fonderies qui séparent l’argent de la galène), la montagne se dévêt de son manteau forestier, qui ne sera replanté qu’au XXe siècle !

Toute une économie se bâtit autour des mineurs eux-mêmes : forgerons pour tailler les outils, trieurs et cloweresses pour trier déblais stériles et métal, bocards pour concasser le minerai, fondeurs, menuisiers, charpentiers, charbonniers… Une organisation sociale se met également en place : les mineurs ont ainsi leur propre juridiction, avec deux cellules, abritées à la tour de l’Horloge, un bâtiment encore visible aujourd’hui dans le hameau d’Échery.

La dernière mine d’argent du massif ferme en 1637

Mais à force d’exploration de plus en plus profonde et donc coûteuse, l’exploitation d’argent se tarit en même temps que les cours. Dans le dernier quart du XVIe siècle, les mines du massif commencent à fermer, l’exploitation s’arrête au XVIIe, en 1637, avec la guerre de Trente ans. Certains tenteront bien à nouveau les siècles suivants de recommencer, notamment à l’aide de la dynamite, mais l’argent n’est plus accessible. Ils exploitent tout de même le cobalt, utilisé pour la teinture, la céramique ou la peinture, puis un court temps l’arsenic pour les raticides.

Les anciennes mines tombent alors peu à peu dans l’oubli, à l’état d’abandon jusqu’à ce que des passionnés les redécouvrent dans la deuxième partie du XXe siècle. Ils aménagent ainsi les accès de la mine Saint-Louis Eisenthür, l’une des plus prospères à l’époque, qui constitue aujourd’hui la visite la plus étonnante du patrimoine de Sainte-Marie-aux-Mines, avec une déambulation de trois heures (dont une sous terre) qui donne l’impression de remonter le temps. L’Asepam propose aussi la visite d’une autre mine, Gabe Gottes, plus facile d’accès car exploitée à nouveau dans la première partie du XXe siècle. (selon "Ouest-France")

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